L’amour à distance


Dans ma vie, j’ai eu trop souvent des histoires d’amour à distance. Il n’y a rien de plus romantique ni de plus destructeur qu’une relation à distance.

Il existe deux types de ce genre de relation. Tout d’abord, il y a les relations à distance de fin de semaine. Celles où, faute de pouvoir vous voir pendant la semaine, tous vos vendredis soir-samedi-dimanche sont consacrés à l’être aimé et c’est un rendez-vous, alors débrouillez-vous pour ne rien planifier ce week-end, parce que vous partez dans le patelin de votre amoureux. Si vous voulez planifier quelque chose avec vos amis le week-end suivant, n’oubliez pas d’y inclure votre amoureux parce qu’il sera là, c’est son tour.

Les retrouvailles du vendredi soir sont émoustillantes. Vous vous embrassez, vous souriez, contents de vous retrouver. Vous profitez de ces quarante-huit heures en les trouvant courtes, tout en sachant pertinemment que vous les retrouverez au bout de la semaine suivante.

Le dimanche soir, « tu vas me manquer cette semaine » devient une tradition monotone qui finit par perdre tout sens sentimental. Vous avez l’obligation, pour le maintien de l’équilibre de votre relation, de vous retrouver dès le vendredi suivant. Vous serez là. As usual.

« Ah non, je ne peux pas ce week-end, je serai chez mon amoureux/mon amoureux sera ici » devient l’excuse récurrente dans votre vie sociale et vous commencez à vous en lasser. Où va mener cette relation exactement? Est-ce dans mes projets de quitter ma ville pour la sienne ou de le laisser venir ici et de m’installer avec lui? Vous réalisez que soit vous êtes trop jeunes pour une telle décision, soit vous ne vous aimez pas assez, soit vous en avez vraiment marre de cette relation et ne pouvez supporter plus longtemps d’handicaper les week-ends de l’autre et de le laisser handicaper les vôtres. Cela ne peut plus durer et vous brisez les chaînes de kilomètres qui vous emprisonnent l’un et l’autre dans une routine épuisée.

Puis, il y a les relations à distance exagérée. Un océan vous sépare. Le moyen de transport vous emmenant jusqu’à lui coûte plusieurs centaines de dollars. La spontanéité ne sera jamais au rendez-vous, à moins que vous soyez millionnaire et que votre jet privé soit déjà sur le tarmac. En attendant d’économiser suffisamment pour vivre votre amour de corps, vous vivez de mots. Vous vous échangez des messages enflammés d’espoir et d’impatience, vous faites entendre votre voix à l’autre dès que vous en avez l’occasion et peu importe les frais interurbains. Skype devient la troisième personne de cette relation jusqu’à ce que, finalement, l’un de vous prenne ce moyen de transport inabordable.

Que dire des retrouvailles à l’aéroport. Si seulement il n’y avait pas tous ces gens autour de vous. Vous vous retrouvez dans un film romantique, vous entendez la musique, vos lèvres deviennent aimantées pendant un moment trop court pour vous, mais interminable pour le groupe de gens dont votre fusion bloque le passage. Vous êtes enfin ensemble, rien d’autre ne compte que votre bonheur mutuel. Que ces gens attendent.

Par malheur, la séparation à l’aéroport est d’une intensité similaire, bien qu’à l’opposée. Le temps s’égrène à une vitesse folle, il ne vous reste que quelques minutes avant de laisser à nouveau l’océan s’imposer entre vous. Vous ne voulez pas. Vous souhaitez demander à l’autre de renoncer au voyage et de rester ensemble pour toujours.

Vous ne le faites pas. Finalement, vous n’êtes pas dans un film romantique. Vous entendez Brel, qui gémit à vos oreilles combien Orly est triste le dimanche. Là encore, vous entendez la musique et les larmes cascadent sur vos joues.

Ces épisodes se répèteront à quelques reprises, jusqu’à ce que vous réalisiez que cette relation n’a aucun sens et donc, aucun avenir. L’océan aura gagné.



©Alice Lepage, 2020.