$30.00
(frais de livraison inclus)
22 en stock
Description
Auteure: Annie Lavoie
Genre: Roman policier
Format: 374 pages – 13x20cm
Sortie: 22 août 2018
ISBN: 978-2-9816915-3-8
« La vie sociale était incommodante pour lui. Il se sentait constamment jugé sur son apparence et savait que beaucoup de gens le prenaient pour un trisomique au premier regard. Il ne détestait rien de plus que le désarmement évident que ressentaient ses interlocuteurs lorsqu’il ouvrait la bouche et commençait à parler dans un rythme fluide, soutenu et éloquent. Parce qu’à ce moment précis, la pitié faisait place à la curiosité. Il devenait alors une attraction. »
Au début de la session de cours, ces trois personnages provenant d’univers bien différents se retrouvent en colocation. Si la luxure de Charlène semble intrigante, l’apparence de Sébastien les rend bien plus curieux. Pendant que Sébastien, fort consommateur de marijuana, développe une obsession sur Charlène, Samantha, à l’aide de son amoureux Maxime, étudiant en neurobiologie, essaie de percer le mystère de son colocataire. Alors qu’au cours de l’automne, le couple de Sam commence à craqueler, l’obsession de Sébastien pour Charlène prend une dimension disproportionnée. Intoxiqué, paranoïaque, sombrant dans la psychose, il sera prêt à tout pour défendre sa réputation auprès d’elle. Il est impossible que cette histoire finisse bien pour tout le monde.
Découvrez le premier chapitre
« Sébastien n’était définitivement pas assez sobre pour venir à bout de sa mission. Errant au milieu des allées de la pharmacie, il parcourait du regard les étagères qui se multipliaient, d’un air à la fois déterminé et désorienté.
Une employée, une jeune fille aux cheveux noirs comme l’ébène, occupée à remplir le présentoir de parfums pour hommes, observait avec une curiosité morbide ses allers-retours. Lorsqu’il lui faisait face, elle se détournait vivement, de peur qu’il ne croise son regard inquisiteur.
À son désarroi, Sébastien se tourna vers elle en repassant pour la troisième fois dans la rangée qu’elle occupait. Elle eut un léger sursaut et tourna son attention vers le présentoir, le visage empourpré. Elle fit celle qui ne le voyait pas.
Mais tout le monde s’apercevait toujours de la présence de Sébastien. C’était inéluctable.
– Excusez-moi.
L’employée se redressa. Il remarqua qu’elle concentrait toute son énergie à ne surtout pas le regarder ailleurs que dans les yeux.
– Je cherche les dentifrices.
– T-troisième rangée, à votre gauche, expliqua-t-elle avant de se détourner de lui, non sans lui avoir offert un sourire maladroit, bien loin du service à la clientèle exigé par son employeur.
Il s’empressa de se diriger dans la bonne rangée, agrippa le premier tube de dentifrice qu’il aperçut et alla faire la file aux caisses. Son malaise accentua son impatience quand le client devant lui exigea de recevoir un crédit pour le produit promotionnel qu’il n’avait pu se procurer, faute d’inventaire.
Sébastien retint un geste exaspéré. Avec sa carrure et sa physionomie, il lui était facile d’effrayer les gens, alors qu’il désirait par-dessus tout se faire le plus discret possible. Un souhait irréalisable.
Sur le chemin du retour, pendant qu’il titubait légèrement le long du trottoir, il essaya de se remémorer sa liste de choses à faire pour le lendemain. Ses pensées chaotiques le firent abandonner.
Il était incapable de clarifier son esprit. Il avait passé les trois dernières heures chez son cousin, où ils avaient agrémenté leur jeu vidéo d’un peu d’herbe, fumant à eux seuls les cinq joints roulés par Sébastien. Celui-ci avait largement dépassé sa limite et tentait mollement de rentrer chez lui, ses lacunes d’équilibre lui faisant prendre conscience des vacillements de son corps, complètement défoncé par la drogue.
Malgré ses difficultés présentes, il était soulagé de son état actuel. Il se sentait beaucoup moins angoissé qu’au début de la journée, où il avait appréhendé le lendemain avec terreur.
Se trouver un hébergement, se rendre au Collège pour récupérer son horaire de cours et sa carte étudiante, rencontrer ceux qui allaient l’encadrer et le juger tout au long de ces trois prochaines années.
Il s’agissait de sa quatrième tentative d’études supérieures au secondaire. Ses démarches l’avaient mené au Cégep en intégration, au DEP en plomberie et au cours privé en mécanique. Tous abandonnés au cours des premières semaines pour des raisons similaires : ses difficultés sociales. Il tentait maintenant de décrocher un diplôme d’assistance en déficience, au Collège Mérici. Ses faibles résultats scolaires avaient apparemment suffi à accepter sa candidature, à son grand étonnement. Maintenant, il n’avait plus le choix. Il devait se lancer.
Le plus intolérable pour lui, en ce qui concernait les études, c’était qu’elles étaient étroitement liées avec d’autres étudiants qu’il lui fallait côtoyer tous les jours. Toute sa vie, il avait dû supporter le regard des autres et la méchanceté des jeunes grandissant autour de lui tout au long de son éducation. Arrivé dans la vingtaine et bientôt la trentaine, il était fatigué d’endurer ce mépris et ces jugements qui ne s’épuisaient pas.
S’il réussissait à obtenir son diplôme et décrocher un emploi relié dans le domaine de la déficience intellectuelle, personne autour de lui ne serait en mesure de le juger.
Enfin arrivé. Il bifurqua dans l’entrée et monta les escaliers extérieurs deux par deux. À vingt-neuf ans, il vivait toujours chez ses parents, dans leur maison de Pintendre. Ce serait la première fois qu’il quitterait le nid familial pour aller vivre seul. D’ailleurs, sa mère vivait mal cette séparation. Bien que Pintendre soit à proximité de Lévis qui, elle, faisait face à la ville de Québec, un fleuve allait bientôt la séparer de son enfant unique et elle en souffrait. Elle était effrayée à l’idée de voir son bébé évoluer seul dans la société. Comment s’en sortirait-il sans sa mère?
Sébastien lui avait promis de lui donner des nouvelles très souvent et il pensait sincèrement ce qu’il disait. S’il était fermement décidé à se trouver un logis près du Collège, c’était en partie pour éviter le transport en commun chaque jour et en partie parce qu’il se trouvait trop vieux pour demeurer crédible auprès des autres en leur avouant qu’il demeurait toujours sous le toit parental à son âge.
En poussant la porte, il trouva la maison vide. Ses parents étaient partis au cinéma, il avait donc toute la tranquillité souhaitée. Il aligna ses chaussures l’une contre l’autre, se redressa en évitant le miroir et se réfugia dans sa chambre.
Ses sacs étaient prêts. S’il le pouvait, il emménagerait dès demain. Si la chance lui souriait enfin. Toutes ses semaines d’été avaient été une source d’inquiétude, cherchant un logement tout en étant systématiquement refusé. Il espérait que les dortoirs du Collège subissent une ou deux annulations, afin qu’il puisse y loger, mais il y croyait peu.
Il avait appelé le Collège tous les jours du mois d’août pour vérifier la disponibilité et on lui avait fait gentiment remarquer qu’il s’y était pris trop tard. Si demain, il n’y avait toujours aucune annulation, alors il se rabattrait sur les petites annonces du Collège, espérant dénicher une chambre libre dans une maison ou en colocation.
Cela lui était égal de vivre avec d’autres gens, tant qu’il avait une chambre dans laquelle il pouvait s’isoler pour les éviter.
Il alluma la télévision, la console de jeux et s’installa pour le reste de la soirée. Ses réflexions étaient rembrunies par ce qu’il avait consommé, mais il avait l’habitude. Il pensait à quelque chose, était distrait par une autre pensée, une autre, puis encore une autre et se retrouvait chaque fois incapable de récupérer le sujet d’origine de ce courant de réflexions. Plus il cherchait, plus ce dont il tentait de se souvenir se dissipait.
Peu importe où ses pensées se perdaient, elles revenaient toujours dans cette direction. Sur ce fardeau, en particulier.
« Arrête d’y penser. Ça sert à rien d’y penser. C’est rien, c’est rien. »
Alors que pour lui, cela représentait tout.
Au bout d’une heure, il quitta le canapé pour se rendre à la salle de bain. Après s’être soigneusement lavé les mains deux fois plutôt qu’une, il aperçut du coin de l’œil son reflet dans le grand miroir de la pièce.
Il fit face à son image et s’observa dans le miroir en soupirant. Il était laid. Très laid. Il ne supportait pas cette laideur.
Et devoir supporter ÇA, c’était encore pire. »