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Description
Auteure: Alice Lepage
Genre: Recueil de textes autobiographiques
Format: 118 pages – 13x18cm
Sortie: 19 novembre 2017
ISBN: 978-2-9816915-0-7
« Tu régnais sur ta famille avec une oppression dont tu te nourrissais. Cela a toujours semblé pour toi un véritable besoin que de pouvoir décharger ta colère de temps à autre. Tu te vidais de haine en nous remplissant de peur.
Ce régime totalitaire a duré une dizaine d’années, jusqu’à mes dix-neuf ans. Dix ans d’oppression, de mépris, d’injures, de soumission, de rage, d’injustice. Un volcan rugissant pendant toute une décennie.
Au fil du temps, je me suis sentie sale, misérable, pleine de résidus d’amertume qui agissaient en moi comme des bactéries, me grugeant lentement mais assurément de l’intérieur, ne laissant qu’un vide étouffant d’angoisse.
Je me suis sentie comme une guénille sale abandonnée au fond d’un évier. »
Lecture du texte La décharge
« Je n’ai jamais été réellement punie.
Chaque fois que tu me privais de sorties, tu te rétractais quelques heures plus tard, quand la colère était retombée. C’en était encore plus déconcertant.
En réalité, je n’avais pas besoin de recevoir une punition. J’étais largement punie avec la colère monstrueuse que je devais subir lorsque j’avais fait quelque chose de « mal », qui méritait toutes les injures.
Les décharges ont débuté quand j’avais dix ans et pendant toutes ces années, elles ont toujours conservé plus ou moins le même schéma. Je sortais de ma chambre ou j’entrais dans la maison et tu surgissais de nulle part en rugissant comme un lion, le prédateur penché sur sa proie. Alors qu’un autre parent m’aurait punie et/ou réprimandée, pour ensuite m’envoyer réfléchir dans ma chambre, toi tu m’obligeais à te faire face pendant des heures. Parce que j’avais mal rangé ma chambre, parce que j’étais revenue cinq minutes trop tard, parce que je n’étais pas suffisamment souriante, suffisamment reconnaissante, suffisamment douée, suffisamment irréprochable.
Ta colère avait besoin d’avoir sa source devant elle. Sinon, tu l’aurais déchargée dans la violence. Ou c’est quelqu’un d’autre qui en aurait écopé.
Règle générale, je devais m’asseoir dans un coin du salon et te regarder pendant que tu m’observais de haut, tout en faisant la liste méticuleuse de tous mes défauts. Ceux qui existaient, ceux que tu croyais qui existaient et ceux dont ça t’était égal de savoir s’ils étaient réels ou non.
Je subissais une énumération de toutes les insultes possibles. Une parfaite nullité. Une bonne à rien. Sans intérêt pour personne. Qui ne fera jamais rien de bien de sa vie. Une merde sans valeur, une indigne de ses parents, un cas désespéré qui n’aurait jamais dû naître puisque je n’étais qu’un paquet de troubles et que je valais encore moins que la pute d’en face.
Et la palme d’or.
« Considère-toi chanceuse que la DPJ existe pour te protéger! »
Lorsqu’il arrive à l’occasion que je parle de toi, cette phrase me vient toujours spontanément en tête.
Cette dispute à sens unique pouvait durer deux, trois, quatre heures, parfois. Pendant tout ce temps, la jeune adolescente assise droite comme un piquet refoulait la colère de ne pouvoir ni s’expliquer ni se défendre, ingérant son sentiment d’injustice, cette révolte qui la consumait. Les larmes roulaient sur les joues d’un visage de marbre, qui s’est durci au fil des années. On me dit souvent que j’ai le visage sévère, mais le regard triste. Je déteste ça.
Un jour, j’ai compris ce sentiment de combustion. J’avais dix-huit ans, je vivais avec Mathis une histoire d’amour chaotique et, au cours d’une dispute, j’ai été frappée d’une révélation.
J’étais comme toi. J’avais envie d’insulter mon partenaire, je me sentais comme un volcan voulant exploser et la colère remplie de haine semblait interminable. Évidemment, on comprend immédiatement ici le rapport père-fille. Je ne vais pas me pencher plus longuement là-dessus.
Il serait faux de dire que tu ne m’as jamais dit « Je t’aime ». Tu me le disais fréquemment. Après une période de colère volcanique ou lors de tes excès de boisson. Ce qui laissait supposer que la culpabilité ou la désinhibition y jouait un rôle qui dénaturait la validité de la déclaration.
Je n’ai jamais douté de ton amour. Par contre, j’ai toujours considéré qu’il s’agissait d’un amour malsain, porté sur la domination.
C’est ce désir ardent de domination que je ressentais lorsque je me disputais avec Mathis. C’est en prenant conscience de ce fait que j’ai réalisé que tu ne pensais pas vraiment toutes ces insultes. Cependant, tu les ressentais, parce que ce volcan intérieur de domination donnait à tes émotions une démesure insupportable.
Les cicatrices n’en sont pas moins réelles. Il était trop tard lorsque j’ai compris cela. Le mal était fait. »